G
Accueil

EDUARDO GALEANO
Le chasseur d'histoires

Traduction de l'espagnol (Uruguay) de Jean-Marie Saint-Lu

 "Les divinités indigènes furent les premières victimes de la conquête de l’Amérique. Les vainqueurs appelèrent extirpation de l’idolâtrie la guerre menée contre les dieux condamnés à se taire. "

" CONCOURS DE VIEUX
Il y a quelques millénaires de cela, à un ou deux ans près, le jaguar, le chien et le coyote faisaient un concours. Quel vieux était le plus vieux? Le gagnant recevrait, comme prix, la première nourriture qu’ils trouveraient. De la colline, une charrette toute déglinguée avançait en cahotant, quand un sac rempli de tortillas de maïs en tomba. Qui méritait ce trésor? Quel vieux était le plus vieux?
Le jaguar dit qu’il avait vu le premier matin du monde.
Le chien dit qu’il était le seul survivant du déluge universel.
Le coyote ne dit rien, parce qu’il avait la bouche pleine. "

 


EDUARDO GALEANO
Les veines ouvertes de l'Amérique latine

"L'Amérique latine est le continent des veines ouvertes. Depuis la découverte jusqu'à nos jours, tout s'y est toujours transformé en capital européen ou, plus tard, nord-américain, et comme tel s'est accumulé et s'accumule dans ces lointains centres de pouvoir. Tout : la terre, ses fruits et ses profondeurs riches en minerais, les hommes et leur capacité de travail et de consommation, toutes les ressources naturelles et humaines. Les modes de production et les structures sociales de chaque pays ont été successivement déterminés de l'extérieur en vue de leur incorporation à l'engrenage universel du capitalisme. A chacun a été assignée une fonction, toujours au bénéfice du développement de la métropole étrangère prépondérante, et la chaîne des dépendances successives est devenue infinie, elle comporte beaucoup plus de deux maillons : en particulier, à l'intérieur de l'Amérique latine, l'oppression des petits pays par leurs voisins plus puissants, et, dans le cadre de chaque frontière, l'exploitation que les grandes villes et les ports exercent sur les sources locales d'approvisionnement et de main-d'œuvre. (Il y a quatre siècles, seize des vingt villes les plus peuplées de l'Amérique latine étaient déjà fondées.)

L’économie coloniale latino-américaine disposa de la plus grande concentration de force de travail connue jusqu’alors, pour rendre possible la plus grande concentration de richesses dont ait jamais pu disposer une civilisation dans l’histoire mondiale."


EDUARDO GALEANO
Mémoire du Feu

Les rivières et la mer

Il n'y avait pas d'eau dans la forêt des Indiens chocos. Dieu apprit que la fourmi en possédait et lui en demanda. Elle refusa de l'écouter. Dieu lui serra la taille, qui resta mince à tout jamais, et la fourmi rejeta l'eau qu'elle gardait dans son petit ventre.
- Et maintenant, tu vas me dire où tu l'as trouvée.
La fourmi conduisit Dieu au pied d'un arbre qui ressemblait à tous les arbres.
Durant quatre jours et quatre nuits, grenouilles et hommes manièrent la hache, mais l'arbre ne tombait pas. Une liane l'empêchait de toucher terre.
- Coupe-la, ordonna Dieu au toucan.
Le toucan n'y réussit pas, ce pourquoi il fut condamné à manger les fruits entiers.
Un ara, lui, trancha la liane d'un coup de son bec dur et pointu.
Lorsque l'arbre de l'eau se coucha sur le sol, la mer naquit de son tronc et les rivières de ses branches.
Toute l'eau était douce Ce fut le Diable qui jeta dedans des poignées de sel.


JEAN-PAUL GALIBERT
Les chronophages

« L'hypercapitalisme apparaît comme un projet de domination de l'ensemble du monde. Maître en l'art subtil de vendre le rien et le néant au prix du réel, il tente une conquête de l'être (et donc des existences) dans sa totalité. Son projet est ontologique : que la rentabilité soit le principe, la cause unique,le seul critère de l'être et du non-être.»

« Le chronophage est à la fois l'objet sacrificiel immédiat et le bénéficiaire ultime d'une rentabilité sans précédent. Il est ce qui obtient une rentabilité absolue par votre sacrifice absolu, et néanmoins plaisant, par la grâce de votre propre imagination.»

1. « Évidance » de la marchandise
2. Rentabilité du réel
3. Iniquité de l'échange
4. Plaisance du consommateur
5. Hypertravail de l'image
6. Évanescence du virtuel
7. Spécularité du capital


MARCEL GAUCHET

 

MARCEL GAUCHER
L'avènement de la Démocratie.
I - La révolution moderne

L'ambition démocratique sera partagée entre deux idées, l'idée que tous pèsent à égalité dans le gouvernement de la communauté, et l'idée que tous composent, de par cette égalité, une unité qui requiert de se gouverner en tant que telle. Elle oscillera entre l'universalité numérique des individus et la subjectivité du collectif.


MARCEL GAUCHER
L'avènement de la Démocratie.
II - La crise du libéralisme

En même temps que sont jetées les bases de la démocratie libérale, à la faveur de l'association du régime représentatif et du suffrage universel, le nouvel univers qui se déploie fait exploser le cadre hérité de l'univers religieux qui avait soutenu l'édifice des libertés fraîchement acquises. Ce sera la source des folies totalitaires comme ce sera le ressort de l' approfondissement et de la stabilisation des démocraties libérales.



MARCEL GAUCHER
L'avènement de la Démocratie.
III - A l'épreuve des totalitarismes
1914-1974

Se noue, en même temps, dans ce moment initial, une équivoque qui sera décisive pour la suite, entre les motifs du ralliement au pouvoir hitlérien et la forme que celui-ci emprunte. Une équivoque entre la conjoncture et la structure, pourrait-on dire. Ce n'est pas, en effet, une conversion subite à l'idéologie nazie qui précipite l'adhésion des masses, mais la réponse que le pouvoir hitlérien semble en mesure, tout d'un coup, d'apporter à une situation désespérée. Triple réponse, à l'impuissance intolérable des institutions, à la descente aux enfers économique et sociale, à l'humiliante mise au ban du pays sur le plan international. Surgit un homme qui, contre toute attente, y compris chez ceux qui votaient pour lui sans trop y croire, se montre capable de redresser la barre et d'inverser la courbe. Il acquiert très vite, orchestration propagandiste aidant, les traits d'un sauveur miraculeux. [...] La pression extra-légale ou le recours à la violence sont camouflés d'un bout à l'autre derrière les apparences d'un légalisme impeccable.



ROLAND GORI

La page Roland Gori sur Lieux-dits



DAVID GRAEBER
Bureaucratie

"Une critique de la bureaucratie adaptée à notre époque doit montrer que tous les fils conducteurs — la financiarisation, la violence, la technologie, la fusion du public et du privé -convergent pour former un réseau unique qui s'auto-alimente."

"La matraque du policier est le point de jonction précis entre l'impératif bureaucratique qu'a l'État d'imposer des schémas administratifs simples et son monopole de la force coercitive. Il est donc tout à fait compréhensible que la violence bureaucratique soit faite, d'abord et avant tout, d'agressions contre ceux qui persistent à défendre d'autres schémas ou des interprétations différentes. En même temps, si l'on accepte la célèbre définition que donne Jean Piaget de l'intelligence parvenue à maturité, l'aptitude à coordonner de multiples perspectives (ou perspectives possibles), on peut voir ici avec précision comment le pouvoir bureaucratique, au moment où il recourt à la violence, devient littéralement une forme de stupidité infantile."

"Il semble que, chaque fois que la gauche décide de jouer la sécurité et de suivre un cap "réaliste", elle ne fait que s'enfoncer un peu plus."

"Récapitulons la thèse que j'ai avancée jusqu'ici : les procédures bureaucratiques, qui ont l'étrange capacité d'amener même les esprits les plus fins à se conduire en imbéciles, sont moins des formes de stupidité en elles-mêmes que des moyens le faire face à des situations déjà stupides parce qu'elles dérivent d'une violence structurelle. Ces procédures finissent donc par participer de l'aveuglement et de la bêtise qu'elles cherchent à gérer. Dans le meilleur des cas, elles deviennent des moyens de retourner la stupidité contre elle-même, un peu comme on pourrait le dire de la violence révolutionnaire. Mais la stupidité au nom de l'équité et de la décence reste de la stupidité, et la violence au nom de la libération humaine, de la violence. Ce n'est pas par coïncidence que les deux semblent si souvent s'accompagner."

"Ce que « le public », « la main-d'œuvre », « le corps électoral », «les consommateurs » et «la population» ont en commun, c'est de devoir leur existence à des cadres d'action institutionnalisés qui sont intrinsèquement bureaucratiques, donc profondément aliénants. Les isoloirs, les écrans de télévision, les box des bureaux, les hôpitaux, le rituel qui les entoure, tout cela constitue, pourrait-on dire, les ressorts de la machine «aliénation». Ce sont les instruments qui servent à écraser et fracasser l'imagination humaine. "


NICOLAS GRIMALDI
L'inhumain

La première forme d'indifférence à autrui s'ensuit d'une concentration de toute l'attention sur soi-même.

 

FELIX GUATTARI
Chaosmose

C'est dans le maquis de l'art que se trouvent les noyaux de résistance parmi les plus conséquents au rouleau compresseur de la subjectivité capitalistique, celle de l'unidimentionnalité, de l'équivaloir généralisé, de la ségrégation, de la surdité à l'altérité vraie.

CLAUDE GUDIN
Une histoire naturelle de la séduction

"Je suis au microscope, à l'autre bout de la platine, une préparation de Chalamydomonas nivalis, des algues de la famille des chlorophycées.Algues vertes, bleues, rouges, jaunes, dorées, brunes, ce sont bien les algues primitives qui ont inventé les couleurs. J'isole une cellule et j'observe. Un grand choloroplaste, à son extrémité un petit point rouge, le stigma...Troublant ce petit oeil qui, peut-être m'observe à l'autre bout du microscope. On retrouve là la rhodopsine des archéobactéries, ce petit caroténoïde qui constitue la plaque sensible de la rétine. Vertigineux, ce raccourci de vingt centimètres qui sépare nos deux rhodopsines espacées de trois à quatre milliards d'années..."

JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD
Le goût de l'avenir

"Le religieux dans son ensemble devient ainsi une sorte d'extension du Conseil constitutionnel. La religion (mise au pluriel) n'est plus combattue par l'Etat laïc, mais sollicitée par lui - avec de plus en plus d'insistance -, afin de fournir à la modernité ce qu'elle ne sait pas produire : le sens."